vendredi 6 septembre 2013

Connais-toi toi-même (1). Gurdjieff

Nosce te ipsum "Connais toi toi-même" Source : http://norwich.aminus3.com/image/2006-10-18.html

"Liberté, libération. Tel doit être le but de l'homme. Devenir libre, échapper à la servitude - voilà ce pourquoi un homme devrait lutter lorsqu'il est devenu, si peu que ce soit, conscient de sa situation. Pour lui, c'est la seule issue, car rien d'autre n'est possible aussi longtemps qu'il reste un esclave, intérieurement et extérieurement. Mais il ne peut pas cesser d'être un esclave extérieurement, aussi longtemps qu'il reste un esclave intérieurement. Aussi, pour devenir, libre, doit-il conquérir la liberté intérieure.
La première raison de l'esclave intérieur de l'homme est son ignorance, et par dessus tout, son ignorance de lui-même. Sans connaissance de soi, sans la compréhension de la marche et des fonctions de sa machine, l'homme ne peut pas être libre, il ne peut pas se gouverner et il restera esclave, et le jouet des forces qui agissent sur lui.
Voilà pourquoi, dans les enseignements anciens, la première exigence, adressée à celui qui s'engageait sur le chemin de la libération, était : "Connais-toi toi-même".

La connaissance de soi, c'est un but très haut, mais très vague et très éloigné. L'homme dans son état présent est fort loin de la connaissance de soi. C'est pourquoi, en toute rigueur, le but d'un homme ne peut pas être la connaissance de soi. Son grand but doit être l'étude de soi.
Mais pour s'étudier soi-même, il faut d'abord apprendre comment étudier, par où commencer, quels moyens employer. un homme doit apprendre comment s'étudier lui-même, et il doit étudier les méthodes de l'étude de soi.
Mais l'apprentissage des méthodes d'observation de soi correctes requiert une compréhension précise des fonctions et des caractéristiques de la machine humaine. Ainsi pour observer les fonctions de la machine humaine, l est nécessaire de les comprendre dans leurs divisions correctes, et de pouvoir les définir exactement et aussitôt ; de plus, la définition ne doit pas être verbale, mais intérieure : par le goût, par la sensation, de la même façon que nous nous définissons à nous-mêmes tout ce que nous éprouvons intérieurement.

Il y a deux méthodes d'observation de soi : la première est l'analyse, ou les tentatives d'analyse, c'est-à-dire de trouver une réponse à ces questions : de quoi dépend telle chose, et pourquoi arrive-t-elle ?- et la seconde est la méthode des constatations, qui consiste à noter seulement dans sa pensée, au moment même, tout ce que l'on observe.
L'observation de soi, au commencement surtout, ne doit sous aucun prétexte devenir analyse, ou tentatives d'analyse. L'analyse n'est possible que beaucoup plus tard, lorsqu'on connaît déjà toutes les fonctions de sa machine et toutes les lois qui la gouvernent.
Avant de pouvoir analyser les phénomènes même les plus élémentaires, un homme doit accumuler assez de matériel sous forme de "constatations" c'est-à-dire comme résultat d'une observation directe et immédiate de ce qui se passe en lui. C'est l'élément le plus important dans le travail de l'étude de soi.
Dès le tout début, l'observation ou "constatation" doit être basée sur la connaissance des principes fondamentaux de l'activité de la machine humaine."
Ouspensky, Fragments d'un enseignement inconnu, 1949, traduit de l'anglais par Philippe Lavastine, Stock, 2003, p.157-159

Connais-toi toi-même (2). Gurdjieff

Connais-toi toi-même. Source : http://www.mariadompe.com/en/opere/41/

"En s'observant lui-même, un homme doit différencier les quatre fonctions fondamentales de sa machine : les fonctions intellectuelle, émotionnelles, motrice et instinctive. Chaque phénomène qu'un homme observe en lui-même se rapporte à l'une ou l'autre de ces fonctions.

Lorsqu'on commence à s'observer, on doit essayer aussitôt de déterminer à quel groupe, à quel centre appartiennent les phénomènes que l'on est en train d'observer. Les uns trouvent difficile de comprendre la différence entre pensée et sentiment, les autres distinguent avec peine entre sentiment et sensation, ou entre pensée et sensation, ou entre pensée et impulsion motrice.
On peut dire, en gros, que la fonction de penser travaille toujours par comparaison.
La sensation et l'émotion ne raisonnent pas, elles ne comparent pas, elles définissent seulement une impression.
Les fonctions du sentiment, ou émotions, sont toujours plaisantes ou déplaisantes ; les émotions indifférentes n'existent pas.
En outre, les sensations peuvent être indifférentes : ni chaud ni froid, ni plaisant ni déplaisant.


La connaissance la plus complète que nous puissions avoir d'un sujet donné ne peut être obtenue que si nous l'examinons simultanément à travers nos pensées, nos sentiments et nos sensations. Tout homme qui s'efforce d'atteindre à la véritable connaissance doit tendre vers la possibilité d'une telle perception.

Un homme qui commence à s'étudier lui-même, s'il découvre en lui quelque chose qu'il n'aime pas, doit comprendre qu'il ne sera pas capable de la changer. Etudier est une chose, changer en est une autre. mais 'étude est le premier pas vers la possibilité de changer dans l'avenir.
La machine est équilibrée dans tous ses détails à chaque moment de son activité. Si un homme constate en lui-même quelque chose qu'il n'aime pas et commence à faire des efforts pour le changer, il peut parvenir à un certain résultat. Mais en même temps que ce résultat, il en obtiendra inévitablement un autre, qu'il ne pouvait soupçonner.
Par exemple, un homme peut observer qu'il est très distrait, qu'il oublie tout. Il commence à lutter contre cette habitude, et s'il est assez méthodique et résolu, il réussit, après un certain temps, à obtenir le résultat voulu : il cesse d'oublier ou de perdre des choses.
Cependant, il y a quelque chose qu'il ne remarque pas, mais que les autres remarquent, par exemple : qu'il est devenu irritable, pédant, chicanier, désagréable.
Si bien que, lorsqu'un homme travaille sur lui-même convenablement, il doit considérer les changements compensateurs qui peuvent intervenir, et en tenir compte d'avance. De cette façon seulement il pourra éviter les changements indésirables."

Ouspensky, Fragments d'un enseignement inconnu, 1949, traduit de l'anglais par Philippe Lavastine, Stock, 2003, p.159-163

Connais-toi toi-même (3). Gurdjieff

Connais-toi toi-même; Source : http://tarotprofile.com/content/know-yourself-and-magical-psychological-tarot-profile-alla-alicja-chrzanowska

"Ayant fixé dans sa pensée la différence entre les fonctions intellectuelles, émotionnelles, et motrices, un homme doit, lorsqu'il s'observe lui-même, rapporter immédiatement ses impressions à la catégorie correspondante.
Chaque centre a sa mémoire propre, ses associations propres et son propre penser. En fait chaque centre comporte trois partie : pensante, émotive et motrice.

En même temps, en observant les centres, nous pourrons constater à côté de leur travail correct leur travail incorrect, c'est-à-dire celui d'un centre à la place d'un autre : les tentatives de sentiment du centre intellectuel, ou ses prétentions au sentiment, les tentatives de pensée du centre émotionnel, les tentatives de pensée et de sentiment du centre moteur.
Chez un homme normal, bien portant, chaque centre fait son propre travail. Chez un homme  non équilibré, la substitution continuelle d'un centre à l'autre est précisément ce que l'on nomme "déséquilibre" ou "névrose".
La pensée ne peut pas comprendre les nuances du sentiment. nous le saisirons parfaitement si nous imaginions un homme raisonnant sur les émotions d'un autre. Comme il n'éprouve rien lui-même, ce qu'éprouve l'autre n'existe pas pour lui. Un homme rassasié ne comprend pas un homme qui a faim. Mais pour celui-ci, sa faim est bien réelle.


L'imagination est une des principales causes du mauvais travail des centres.
En règle générale le centre moteur et le centre émotionnel se servent tous deux du centre intellectuel, toujours prêt à leur céder sa place, et à se mettre à leur disposition, parce que la rêverie correspond à ses propres inclinaisons.
La tendance à rêver est due pour une part à la paresse du centre intellectuel, c'est-à-dire à ses tentatives pour s'épargner tous efforts liés à un travail orienté vers un but défini, et allant dans une direction définie - et pour une autre part à la tendance des centres émotionnels et moteur à se répéter, à garder vivantes ou à reproduire des expériences plaisantes ou déplaisantes, déjà vécues ou "imaginées".
L'observation de l'activité de l'imagination et de la rêverie constitue une partie très importante de l'étude de soi.
Puis l'observation devra porter sur les habitudes en général. Tout homme adulte et un tissu d'habitudes, bien que le plus souvent il ne s'en rende nul compte et puisse même affirmer qu'il n'a aucune habitude.
Les centres sont tous les trois pleins d'habitudes et un homme ne peut jamais se connaître avant d'avoir étudié toutes ses habitudes. Leur observation et leur étude est particulièrement difficile parce que, pour les voir et les "constater", il faut leur échapper, se rendre libre d'elles, ne serait-ce que pour un moment. Aussi longtemps qu'un homme est gouverné par une habitude particulière, il ne peut pas l'observer ; mais dès sa première tentative, si faible soit-elle, de la combattre, il la sent et il la remarque. C'est pourquoi, pour observer et étudier les habitudes, il faut essayer de lutter contre elles.
Par exemple, il peut vouloir étudier ses mouvements.
S'il comprend que sa façon de marcher est faite d'un certain nombre d'habitudes : faire des pas d'une certaine longueur, à une certaine allure, etc. et s'il essaie de les changer, c'est-à-dire de marcher plus ou moins vite, d'allonger plus ou moins le pas, il sera capable de voir en lui-même.

Pour s'observer, un homme doit essayer de ne pas marcher de la façon dont il a l'habitude, de s'asseoir  de manière inaccoutumée, il doit se tenir debout quand il se tient d'ordinaire assis.
Dans le domaine des émotions, il est très utile d'essayer de lutter contre l'habitude de donner une expression immédiate aux émotions désagréables.

S'il suit toutes ces règles en s'observant lui-même, l'homme découvrira une quantité d'aspects très importants de son être. Pour commencer, il constatera avec une indubitable clarté le fait que ses actions, ses pensées, ses sentiments et ses paroles résultent des influences extérieures, et que rien ne vient de lui. Il comprendra et il verra qu'il est en fait un automate agissant sous l'influence de stimuli extérieurs.
Il se convaincra que, s'il reste ce qu'il est et ne fait rien d'extraordinaire, c'est simplement parce qu'il ne produit aucun changement extérieur extraordinaire."

Ouspensky, Fragments d'un enseignement inconnu, 1949, traduit de l'anglais par Philippe Lavastine, Stock, 2003, p.163-169