(...) Durée que Bergson identifie au "moi profond", par opposition au "moi superficiel"
Le premier apparaît "comme une multiplicité toute qualitative, un développement organique, une hétérogénéité d'éléments qui se fondent les uns dans les autres"
Le second, le Moi superficiel, n'est que l'ombre du premier réfracté dans l'espace homogène et, par là même, subdivisé et juxtaposé. Il apparaît comme la traduction symbolique, langagière et spatialisante du précédent.
En résumé, on peut dire que le "Moi profond" est multiplicité interne, continue et virtuelle, alors que le "Moi superficiel" est conscience spatialisée, multiplicité numérique, discontinue et actuelle.
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Source : http://www.madore.org/~david/math/kerr.html |
Pour William James, le père de la psychologie américaine, la donnée immédiate de la conscience est celle d'un flux, d'une continuité vivante, d'un dynamisme : "Par-dessous les images à arêtes vives, par-dessous les mots, l'oreille délicate de W. James entend comme le clapotis incessant d'une eau vive, l'eau vive de la conscience qui est essentiel ; le reste ce sont les traditionnels états de conscience, réalités conscientielles secondaires, déjà construites et non plus immédiatement données." James appelle états substantifs ceux où la pensée s'arrête, et états transitifs ceux où la pensée vole. Ces deux aspects de la conscience se retrouvent aussi dans d'autres traditions (...) Dans le chamanisme de la tradition toltèque, qui distingue une attention première adaptée à la vie sociale et au monde de tous les jours, et une attention seconde, plus vaste, demeurant à l'arrière-plan pendant la durée de notre vie. Les indiens Yaqui opposent ainsi le "tonal", correspondant à la conscience du monde quotidien et qui ne serait qu'une île minuscule, au "nagual", considéré comme l'immensité et la source inexplicable de l'île : "Dès notre naissance, nous avons l'intuition des deux parties qui existent en nous. A notre naissance, pendant un certain temps nous ne sommes que "nagual". Nous sentons intuitivement qu'il nous faut une contrepartie pour fonctionner. Le "tonal" nous manque, et cela nous donne dès le début un sentiment d'incomplétude. Puis le "tonal" commence à se développer et devient capital pour notre fonctionnement, tellement important qu'il offusque l'éclat du "nagual" et l'écrase".
Une incursion dans le domaine de la physique permettra aussi d'illustrer les oppositions et les liens des deux formes du Moi. La réalité du monde microphysique est appréhendée par la notion de fonction d'onde qui rend compte de la totalité de l'information et décrit l'évolution d'un système quantique. L'équation de Schrödinger décrit l'évolution continue et virtuelle de la fonction d'onde, à la manière du Moi profond, pourrait-on dire ; en revanche, le processus de la mesure provoque la réduction (collapse) de la fonction d'onde et la transition du virtuel au réel. La mesure introduit du discontinu, sous la forme d'états réduits, observables et spatialisés de la fonction d'onde, analogues aux états de conscience du moi superficiel. De la même manière que le principe de complémentarité est nécessaire à l'appréhension de la fonction d'onde et de ses aspects réduits, de la réalité ondulatoire et de la réalité corpusculaire, la conscience se révèle sous deux aspects contradictoires qui doivent être saisis simultanément en complémentarité.
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En somme, nous avons essayé de distinguer deux aspects complémentaires de la conscience. Le premier, proche de ce que Bergson appelle le "Moi superficiel", est dépendant de l'intégrité du cerveau. Cet aspect de la conscience, réflexif, symbolique et spatialiant, relève du local et du discontinu.
Le second ne peut être saisi que par l'intuition (au sens bergsonien) dans sa réalité de durée pure, de continuité, d'élan. Ne relevant pas de l'espace, il n'est pas lié de manière locale au cerveau ; ou peut-être, dans une conception fractale ou holographique, est-il présent en totalité en tous points du système nerveux.
Dr P. Gallois, neurologue, "Etats végétatifs chroniques : quelle conscience", in Revue d'éthique et de théologie morale, "Le Supplément", n° 202, 1997, pp.71-83
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