Elle m’affirma que les origines du savoir des sorciers ne pouvaient être comprises que comme une légende. Un être supérieur, s’apitoyant sur le sort des humains (dont la vie est, comme celle des animaux, réglée autour de la nourriture et de la reproduction), leur donna la capacité de rêver et leur enseigna comment utiliser les rêves.
-Bien sûr, ajouta-t-elle, les légendes disent la vérité de manière déguisée (…) Ainsi, durant des milliers d’années, les sorciers ont eu pour tâcher de créer de nouvelles légendes, et de découvrir la vérité contenue par les anciennes. C’est alors que les rêveurs interviennent. Les femmes sont les plus douées car elles ont la capacité de se laisser aller, de s’abandonner. Celles qui m’ont appris à rêver étaient capables d’ « entretenir » deux cents rêves.
Esperanza me fixa intensément pour estimer ma réaction : j’étais totalement stupéfaite car je ne comprenais rien à ce qu’elle me racontait. Elle me précisa le sens de l’expression « entretenir un rêve ». Il s’agit de faire un rêve spécifique au sujet de soi-même, et d’avoir la possibilité d’entrer dans ce rêve dès qu’on le désire. (…)
-Les femmes sont des rêveuses exceptionnelles, m’assura Esperanza. elles ont un sens pratique inné. Et c’est primordial.
Elle avait dans les yeux tant de conviction et de sincérité que j’étais complètement sous le charme. Je n’ai pas douté d’elle un instant. (…)
Elle m’expliqua ensuite que, pour réussir un rêve de cette nature, les femmes devaient faire preuve d’une discipline de fer.
Elle se pencha vers moi et me susurra, comme si elle craignait d’être entendue :
-Par discipline de fer, je n’entends pas que les femmes s’astreignent à une routine contraignante mais qu’elles montrent au contraire une capacité à bousculer les habitudes et à ne pas faire ce qu’on attend d’elles. Elles doivent y parvenir tant qu’elles sont jeunes. Et, qui plus est, en pleine possession de leurs moyens.Souvent, les femmes commencent à s’intéresser à des sujets moins terrestres lorsqu’elles ont terminé leur vie de femme reproductrice.
(…)
- Le secret de la force d’une femme réside dans son utérus.
(…)
-Les femmes, enchaîna-t-elle, doivent commencer par brûler leur matrice. Il ne faut pas qu’elles soient ce sol fertile destiné à recevoir la semence des hommes, selon des ordres divins (…)
-Pour pouvoir être une vraie rêveuse, j’ai dû vaincre le moi, m’expliqua Esperenza. Il n’y a rien de plus difficile. les femmes sont prisonnières de leur moi, qui les tient enfermées avec des ordres et des attentes qu’on fait peser sur elles dès la naissance; Vous savez de quoi je parle.
(...)
Esperanza reprit :
- Comme vous, j’ai été élevée par un père autoritaire et indulgent. Comme vous, je pensais que j’étais libre. Et lorsque j’ai compris le point de vue des sorciers - que la liberté ne voulait pas dire être moi-même- j’ai failli mourir. A l’époque, assumer ma féminité me prenait tout mon temps et toute mon énergie. Au contraire, les sorciers voient la liberté comme la capacité à faire l’impossible, l’inattendu, à faire un rêve sans fondement, sans rapport avec la réalité quotidienne.
Chuchotant presque, elle ajouta :
-Le savoir des sorciers, c’est tout ce qui est excitant et nouveau. Pour changer réellement et devenir une rêveuse, la femme a besoin d’imagination.
(…)
Elle précisa que les femmes rêvent avec leur utérus, oui plutôt à partir de leur utérus. C’est cela qui fait d’elles de bonnes rêveuses. Car l’utérus est le centre de notre énergie créatrice.(…)
Florinda Donner-Grau. Les portes du rêve, 1991. Traduction Laurence Minard, Editions du Rocher, 1995. Extraits pages 61-64.
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