lundi 2 janvier 2012

Taisha Abelar. Le vol asbtrait : l'intention de la récapitulation


Comme je te l'ai déjà expliqué, le dualisme corps-esprit est une fausse dichotomie. La vraie division a lieu entre le corps physique, qui loge l'esprit, et le corps étherique, ou le double, qui loge notre énergie. Le vol abstrait se produit quand nous amenons notre double à influencer notre vie quotidienne. En d'autres termes, au moment où notre corps physique devient totalement conscient de sa contrepartie éthérique énergétique, nous avons franchi le pas dans l'abstrait, un monde de conscience complètement différent.
- Si cela signifie que je dois changer, je doute sérieusement de jamais pouvoir effectuer ce passage, dis-je. Tout semble si profondément enraciné en moi que je me sens fixée à vie."
(...)

Il y a un moyen de changer. Et maintenant tu y es plongée jusqu'au cou ; cela s'appelle la récapitulation."
Elle m'assura qu'une récapitulation profonde et complète nous permet d'être conscient de ce que nous voulons changer, en nous faisant voir sans illusion notre vie. Cette vision nous donne un moment de pause où nous pouvons choisir d'accepter notre comportement habituel ou de le changer en formant l'intention de nous en débarasser, avant qu'il ne nous piège complètement. Je demandai :
"Et comment s'en débarrasse-t-on par l'intention ? Suffit-il de dire : "Arrière, Satan!" ?"
Clara rit et but une petite gorgée d'eau.

"Pour changer, nous devons remplir trois conditions, dit-elle. Premièrement, nous devons annoncer à haute voix notre décision de changer ; afin que l'intention nous entende. Deuxièmement, nous devons engager notre conscience pendant une certaine période de temps : nous ne pouvons pas nous contenter d'entreprendre quelque chose et de le laisser tomber dès que nous sommes découragés. Troisièmement, nous devons considérer le résultat de nos actions avec un sentiment de complet détachement. Ce qui signifie que nous ne pouvons nous investir dans l'idée de réussir ou d'échouer.
"Suis ces étapes et tu peux changer tout sentiment et tout désir non voulus en toi, m'assura Clara

Je n'en sais rien. Cela semble si simple, comme tu l'exprimes."


(...)



"Les sages chinois disaient que, pour connaître sa valeur, il faut se glisser à travers l'oeil du dragon ", dit-elle en tirant les deux extrémités du fil pour les réunir.
Ces sages, poursuivait-elle, étaient convaincus que l'inconnu infini était gardé par un énorme dragon dont les écailles étincelaient d'une lumière aveuglante. Ils croyaient que les chercheurs courageux osant s'approcher du dragon étaient saisis d'une frayeur grandiose devant son éclat éblouissant, la puissance de sa queue dont le moindre frémissement écrasait tout sur son passage, et son haleine brûlante réduisait en cendres tout ce qui était à sa portée. Mais ils croyaient aussi qu'il existait un moyen de se glisser près de ce dragon inapprochable. Ils étaient sûrs qu'en fusionnant avec l'intention du dragon on pouvait devenir invisible et traverser l'oeil du dragon.
"Qu'est-ce que cela veut dire, Clara ? demandai-je;
- Cela veut dire que, par la récapitulation, nous devenons vides de pensée et de désir, ce qui signifiait pour ces voyants anciens devenir un avec l'intention du dragon, et donc invisible."

Taisha Abelar, Le passage des sorciers. Voyage initiatique d'une femme vers l'autre réalité, 1992. Editions du Seuil, 1998, traduction Sylvie Carteron, extraits p.90-93

Retrouver le vrai "Soi". Alexandro Jodorowsky

La littérature mondiale accorde une grande place au thème du "double" qui, peu à peu, expulse un homme de sa propre vie, s'empare de ses endroits favoris, de ses amitiés, de sa famille, de son travail, jusqu'à faire de lui un paria et parfois même à l'assassiner, selon certaines versions de ce mythe universel. Pour ma part, je crois que nous sommes le "double" et non l'original.

Voulez-vous dire que nous nous identifions à un personnage qui n'est qu'une caricature de notre identité profonde ?
Exactement. Notre autoconception...

Autrement dit l'idée que nous nous faisons de nous-même...
Oui, notre ego, peu importe le nom que nous donnons à ce facteur d'aliénation, n'est jamais qu'une pâle copie, une approximation de notre être essentiel. Nous nous identifions à ce double aussi dérisoire qu'illusoire. Et, soudain, l'"Original" apparaît. Le maître des lieux commence à reprendre la place qui lui revient. Le moi limité se sent alors persécuté, en danger de mort, ce en quoi il a raison. Car l' "Original" finira par dissoudre le double. En tant qu'humains identifiés à notre double, nous devons comprendre que l'inquiétant envahisseur n'est autre que nous-même, notre nature profonde. Rien ne nous appartient, tout est à l' "Original". Notre seule chance, c'est que l'Autre survienne et nous élimine. Nous ne souffrirons pas de ce meurtre, mais nous y prendrons part. Il s'agit d'un sacrifice sacré dans lequel l'on se rend tout entier au maître, sans angoisse...

En quoi le théâtre peut-il aider quiconque à revenir à l' "Original", pour reprendre votre expression ?
Puisque nous vivons enfermés dans ce que j'appelle notre autoconception, l'idée que nous avons de nous-même, pourquoi n'adopterions nous pas un tout autre point de vue ? Par exemple, demain, vous serez Rimbaud. C'est en tant que Rimbaud que vous vous réveillerez et vous laverez les dents; vous vous habillerez comme lui, vous penserez comme lui, parcourerez la ville comme lui... Pendant une semaine, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et pour nul autre spectateur que vous-même, vous serez poète, agissant comme un autre avec vos amis et connaissances sans leur fournir aucune explication. Vous parviendrez à être un auteur-acteur-spectateur, vous produisant non pas dans un théâtre mais dans la vie.

Si je comprends bien, vous expliquiez cette théorie à vos consultants puis leur fixiez un programme...
Voilà ! J'établissais un programme, un acte ou une série d'actes à accomplir dans la vie en un temps donné : cinq heures, douze heures, vingt-quatre heures ... Un programme élaboré en fonction de leur difficulté, destiné à casser le personnage auquel ils s'étaient identifiés pour les aider à renouer avec leur identité profonde. A un athée, j'ai fait adopter des semaines durant la personnalité d'un saint. A une mère indifférente, j'ai assigné le devoir d'imiter pendant un siècle l'amour maternel. A un juge, je donnais la tâche de se déguiser en clochard pour aller mendier devant la terrasse d'un restaurant. (....) Je créais ainsi un personnage destiné à s'implanter dans la vie quotidienne et à l'améliorer. C'est donc à ce stade que ma recherche théâtrale a peu à peu revêtu une dimension thérapeutique. De metteur en scène, j'étais devenu conseiller théâtral, donnant aux gens des directives pour prendre leur place en tant que personnage dans la comédie de l'existence.
Il est permis d'être sceptique quant aux effets de cette thérapie théâtrale, quoique l'idée en soit est elle-même très intéressante ; comment une mère indifférente pourrait-elle ainsi décider d'adopter le personnage d'une mère aimante et surtout y parvenir sa vie durant ?
D'abord, n'oubliez pas que les consultants souffraient tous d'être assujettis à leur double. S'ils venaient à moi, c'était précisément parce qu'ils se sentaient mal dans leur rôle et pressentaient la tout autre nature de l' "Original" en eux. La démarche se fondait donc sur un réel désir de changer. La mère indifférente, par exemple, souffrait de ne pas parvenir à témoigner beaucoup d'amour à son enfant. En outre, je crois aux vertus de l'imitation, dans le bon sens du terme. Un saint s'engagera dans la voie de l' "imitation de Jésus-Christ". Pourquoi un athée lassé de son incroyance ne commencerait-il pas à imiter un saint ?

Alexandro Jodorowsky, Le théâtre de guérison, Albin Michel, 1995, collection Espaces libres. Entretiens avec Gilles Farcet, pp. 80-83