mercredi 28 avril 2010

Rêves et réincarnation. Denis Saurat




La Mère au Fils : Quand ta fille est venue au monde, moi, je le savais; j'ai fait un rêve, et à la même heure que je me suis réveillée avec un grand cri, et que ça a réveillé ton père et nous avons regardé l'heure, tu pourrais le lui demander, mais il est mort.
Et puis tu as écrit et tu nous as dit l'heure, et c'était l'heure.
C'est ma fille à moi, ta soeur qui était morte, qui est venue dans mon rêve et qu'elle m'a dit :
- Voilà, vous ne voulez plus d'enfants et moi je veux revenir sur la terre, parce que j'ai été malheureuse et maintenant je veux être heureuse. Toi, maintenant, si tu me voulais je reviendrais, mais tu ne veux plus d'enfants, tu as été trop malheureuse avec tes enfants.
"Alors, voilà, je vais aller dans le corps d'une étrangère, de la femme de mon frère, et je serai sa fille, puisque je ne peux pas être la tienne. Mais je ne veux le faire que si tu me donnes la permission. Dépêche-toi de me dire, il n'y a plus que quelques minutes; si tu dis non, l'enfant viendra au monde mort; si tu dis oui, ce sera moi, vivante; et moi je veux vivre, je veux être heureuse. Dépêche-toi !"
Alors, moi, j'ai crié ; "Va-t'en! Va-t'en! tout haut, que j'ai réveillé ton père et je me suis réveillée.
Et puis tu as écrit qu'elle était née à cette heure-là, et qu'en naissant elle avait le cordon enroulé autour du cou, et que le médecin il l'a vu tout de suite, et il a passé le doigt et il l'a déroulé, et sans cela l'enfant était étouffé.
Si je n'avais pas crié : Va-t'en, c'était trop tard.

Denis Saurat, La mort et le rêveur. Editions du Vieux Colombier, Paris, 1947. Réédition Praxis-Lacour, 1990, pp. 26-27.

samedi 3 avril 2010

Retrouver le mystère du monde. Carlos Castaneda




Chaque fois que nous finissons de nous parler, le monde est toujours tel qu'il devrait être. Nous le renouvelons, nous lui insufflons de la vie, nous le soutenons de notre bavardage intérieur. Et ce n'est pas tout, nous choisissons aussi nos chemins comme nous parlons à nous-mêmes. Par conséquent, nous répétons toujours et toujours les mêmes choix jusqu'au jour où nous mourons, cela parce que nous continuons toujours et toujours à répéter le même bavardage intérieur jusqu'au jour où nous mourons.
- Comment puis-je cesser de me parler ?
- En premier lieu tu dois faire usage de tes oreilles pour les charger d'une part du fardeau de tes yeux. Depuis le jour de notre naissance nous utilisons nos yeux pour juger le monde. Nous parlons, aux autres et à nous-mêmes, en termes de ce que nous avons vu. Un guerrier est conscient de cela, et il écoute le monde. Il écoute les sons du monde.
(...) Le monde est comme ci ou comme ça parce que nous disons qu'il est ainsi. Si nous cessons de nous dire que le monde est comme ça, le monde cessera d'être comme ça (...) tu dois commencer à dé-faire très lentement le monde. (...) Ton problème est que tu confonds le monde avec ce que les gens font (...) jamais nous n'apprenons que les choses que nous faisons en tant qu'hommes sont seulement des boucliers, ce qui fait que nous laissons ces choses dominer et écraser nos vies. En fait je pourrais dire que pour l'humanité ce que font les gens est plus conséquent et plus important que le monde lui-même.
- Qu'appelez-vous le monde ?
- Le monde est tout ce qui est enfermé ici, dit-il, et il frappa du pied par terre. La vie, la mort, les gens, les alliés, et tout ce qui nous entoure. Le monde est incompréhensible. Nous ne le comprendrons jamais. Nous ne dévoilerons jamais ses secrets. Nous devons le traiter comme tel qu'il est, un mystère absolu !

Carlos Castaneda, Voir, 1971. Traduction Marcel Kahn, éditions Gallimard, 1973, collection Folio/Essais, impression 1998, pp.281-283

Comment réagir à l'inhabituel ? Carlos Castaneda




Chaque fois que nous sommes confrontés dans la vie à des situations inhabituelles, nous recourons à trois sortes de mauvaises habitudes. Tout d'abord, nous pouvons négliger ce qui est en train de se produire ou ce qui est en train de se produire ou ce qui est déjà arrivé, et nous sentir comme si rien ne s'était passé. C'est la façon d'agir du sectaire. Puis nous pouvons accepter n'importe quoi selon les apparences et avoir le sentiment de connaître ce qui se passe. C'est le comportement de l'homme zélé. Enfin nous pouvons être obsédés par un événement, parce que nous ne pouvons ni le négliger ni l'accepter entièrement. C'est la manière de l'imbécile (...). Il y en a une quatrième, qui est la correcte, c'est la manière du guerrier. Un guerrier agit comme si rien n'était jamais arrivé, parce qu'il ne croit en rien, quoiqu'il arrive, parce qu'il accepte les choses telles qu'elles se présentent. Il accepte sans accepter, il néglige sans négliger. Il n'a pas le sentiment de savoir, mais il ne se sent pas non plus comme s'il contrôlait la situation, même s'il tremble dans ses souliers. D'agir ainsi fait disparaître l'obsession.

Carlos Castaneda, Histoires de pouvoir, 1974. Traduction Carmen Bernand, éditions Gallimard, 1975, page 55.