mardi 23 juin 2015

Moi profond, moi superficiel, nagual, tonal et ... physique quantique

(...) Durée que Bergson identifie au "moi profond", par opposition au "moi superficiel"
Le premier apparaît "comme une multiplicité toute qualitative, un développement organique, une hétérogénéité d'éléments qui se fondent les uns dans les autres"
Le second, le Moi superficiel, n'est que l'ombre du premier réfracté dans l'espace homogène et, par là même, subdivisé et juxtaposé. Il apparaît comme la traduction symbolique, langagière et spatialisante du précédent.
En résumé, on peut dire que le "Moi profond" est multiplicité interne, continue et virtuelle, alors que le "Moi superficiel" est conscience spatialisée, multiplicité numérique, discontinue et actuelle.
(...)
Source : http://www.madore.org/~david/math/kerr.html

Pour William James, le père de la psychologie américaine, la donnée immédiate de la conscience est celle d'un flux, d'une continuité vivante, d'un dynamisme : "Par-dessous les images à arêtes vives, par-dessous les mots, l'oreille délicate de W. James entend comme le clapotis incessant d'une eau vive, l'eau vive de la conscience qui est essentiel ; le reste ce sont les traditionnels états de conscience, réalités conscientielles secondaires, déjà construites et non plus immédiatement données." James appelle états substantifs ceux où la pensée s'arrête, et états transitifs ceux où la pensée vole. Ces deux aspects de la conscience se retrouvent aussi dans d'autres traditions (...) Dans le chamanisme de la tradition toltèque, qui distingue une attention première adaptée à la vie sociale et au monde de tous les jours, et une attention seconde, plus vaste, demeurant à l'arrière-plan pendant la durée de notre vie. Les indiens Yaqui opposent ainsi le "tonal", correspondant à la conscience du monde quotidien et qui ne serait qu'une île minuscule, au "nagual", considéré comme l'immensité et la source inexplicable de l'île : "Dès notre naissance, nous avons l'intuition des deux parties qui existent en nous. A notre naissance, pendant un certain temps nous ne sommes que "nagual". Nous sentons intuitivement qu'il nous faut une contrepartie pour fonctionner. Le "tonal" nous manque, et cela nous donne dès le début un sentiment d'incomplétude. Puis le "tonal" commence à se développer et devient capital pour notre fonctionnement, tellement important qu'il offusque l'éclat du "nagual" et l'écrase".
Une incursion dans le domaine de la physique permettra  aussi d'illustrer les oppositions  et les liens des deux formes du Moi. La réalité du monde microphysique est appréhendée par la notion de fonction d'onde qui rend compte de la totalité de l'information et décrit l'évolution d'un système quantique. L'équation de Schrödinger décrit l'évolution continue et virtuelle de la fonction d'onde, à la manière du Moi profond, pourrait-on dire ; en revanche, le processus de la mesure provoque la réduction (collapse) de la fonction d'onde et la transition du virtuel au réel. La mesure introduit du discontinu, sous la forme d'états réduits, observables et spatialisés de la fonction d'onde, analogues aux états de conscience du moi superficiel. De la même manière que le principe de complémentarité est nécessaire à l'appréhension de la fonction d'onde et de ses aspects réduits, de la réalité ondulatoire et de la réalité corpusculaire, la conscience se révèle sous deux aspects contradictoires qui doivent être saisis simultanément en complémentarité.
(...)
En somme, nous avons essayé de distinguer deux aspects complémentaires de la conscience. Le premier, proche de ce que Bergson appelle le "Moi superficiel", est dépendant de l'intégrité du cerveau. Cet aspect de la conscience, réflexif, symbolique et spatialiant, relève du local et du discontinu.
Le second ne peut être saisi que par l'intuition (au sens bergsonien) dans sa réalité de durée pure, de continuité, d'élan. Ne relevant pas de l'espace, il n'est pas lié de manière locale au cerveau ; ou peut-être, dans une conception fractale ou holographique, est-il présent en totalité en tous points du système nerveux.

Dr P. Gallois, neurologue, "Etats végétatifs  chroniques : quelle conscience", in Revue d'éthique et de théologie morale, "Le Supplément", n° 202, 1997, pp.71-83 

dimanche 21 juin 2015

La visualisation mentale

Le physicien et auteur Peter Russel compare une vision collective à un attracteur étrange, tel que le décrit la théorie du chaos. En fait, la visualisation génère devant vous une sorte de tourbillon qui vous attire ensuite. Elle possède une énergie et elle est dynamique. Il ajoute :
« Quelque chose de plus profond que je ne peux pas expliquer se produit ; la présence d’une vision ne constitue pas seulement une motivation, mais la psyché semble entrer en interaction avec le monde, ce qui en retour facilite la réalisation des choses, leur permet de se mettre en place. Je ne peux pas expliquer cela rationnellement, mais c’est quelque chose que les gens remarquent régulièrement. Si vous avez une vision forte de ce que vous faites, c’est comme si le monde voulait soutenir cette vision. Il a vraiment l’air de le faire » 
Source : http://blog.mindjet.com/2013/07/visualisation-rocks/

(« Exclusive to transition culture ! Peter Russel on life after oil, change and consciousness » transitionculture.org)

in Rob Hopkins, Manuel de transition de la dépendance au pétrole à la résilience locale, traduction Michel Durand, Editions écosociété, 2010, p.101



jeudi 18 juin 2015

Carlos Castaneda. La fixation du point d'assemblage


« Peut-être est-ce exactement ce qui arrive à nous tous, dans ce monde de la vie de tous les jours. Nous sommes là, et la fixation de notre point d’assemblage est tellement dominante qu’elle nous fait oublier d’où nous sommes venus, et quel était notre but en venant ici »

Don Juan, in Carlos Castaneda, L’art de rêver, 1993, traduit par Marcel Khan, 1994. Pocket, 1998, p.243

Gustav Meyrink. Etre éveillé est tout.


Heureux ceux qui ont compris le sens de ce travail, et qui ont compris que la loi intérieure est la même que celle du monde extérieur, mais une octave au-dessus : ils sont appelés à la moisson ; les autres demeureront les esclaves qui labourent, face contre terre.
« La clé qui rendrait maître  de la nature intérieure est rouillé depuis le déluge. C’est : Etre éveillé.
Etre éveillé est tout
Il n’est rien dont l’homme ne soit aussi fermement convaincu que d’être éveillé, alors qu’en réalité il est captif d’un filet de sommeil et de rêve qu’il a confectionné lui-même. Plus ce filet est serré, plus le sommeil règne en maître ; ceux qui en sont captifs sont les dormeurs, qui vont dans la vie comme des troupeaux à l’abattoir, mornes, indifférents et sans pensée.
Les rêveurs parmi eux voient au travers des mailles un monde découpé par un grillage, ils ne voient que des portions qui les induisent en erreur et règlent là-dessus leur conduite, sans avoir que ces images ne sont que des fragments dépourvus de signification d’un tout gigantesque. Ces « rêveurs » ne sont pas, comme tu pourrais le croire, les fantaisistes et les poètes ; ce sont les agités, les travailleurs, les sans-repos de ce monde, qui sont dévorés par la rage d’agir ; on dirait de vilains scarabées laborieux qui grimpent le long d’un tuyau lisse pour tomber à l’intérieur une fois arrivés en haut.
Ils ont l’illusion d’être éveillés, mais ce qu’ils croient vivre n’est en réalité que du rêve, prédéterminé jusqu’au plus petit détail, à quoi leur volonté ne peut absolument rien.
Il y a eu et il y a encore parmi les hommes des êtres sachant très bien qu’ils rêvaient, des pionniers qui se sont avancés jusqu’aux remparts derrière lesquels se cache le Moi éternellement éveillé, des voyants comme Goethe, Schopenhauer et Kant, mais ils ne possédaient pas les armes voulues pour prendre d’assaut la forteresse, et leur appel au combat n’a pas éveillé les dormeurs.
Etre éveillé est tout
Le premier pas dans cette direction est si simple qu’il est à la portée d’un enfant ; seul celui qui a l’esprit faussé a désappris la marche et demeure paralysé des deux jambes, parce qu’il ne veut pas se passer des béquilles méritées de ses ancêtres
Etre éveillé est tout
Sois éveillé dans tout ce que tu fais ! Ne crois pas que tu l’es déjà. Non ; tu dors, et tu rêves.
Rassemble toutes tes forces, et efforce-toi un seul instant de te sentir parcouru dans tout ton corps par ce sentiment : maintenant je suis éveillé!
Si tu y parviens, tu te rendras compte immédiatement que l’état dans lequel tu te trouvais jusque-là apparaît, vis-à-vis de celui-là, comme un état d’hébétude ou d’ivresse.
C’est là le premier pas hésitant d’un long, long voyage de la certitude à la toute puissance.
De cette façon, avance d’éveil en éveil.
(…)
Gustav Meyrink, Le visage vert, 1916. Traduit par A.D. Sampieri. Editions du Rocher, 1991, pp. 185-186