dimanche 21 février 2016

Carlos Castaneda, L'explication des sorciers - le point d'assemblage

C'est alors qu'il amorça son explication. Il esquissa brièvement les vérités relatives à la conscience dont il avait déjà parlé. Il répéta qu'il n'y a pas de monde objectif mais seulement un univers formé des champs d'énergie que les voyants appellent les émanations de l'Aigle ; que les êtres humains sont faits des émanations de l'Aigle et sont par essence des bulles d'énergie luminescente ; que chacun de nous est enveloppé dans un cocon qui contient une petite partie de ces émanations ; que l'on accède à la conscience grâce à la pression constante que les émanations extérieures à notre cocon, appelées émanations en liberté, exercent sur celles qui se trouvent à l'intérieur de notre cocon ; que la conscience engendre la perception, ce qui se produit quand les émanations intérieures à notre cocon s'alignent avec les émanations en liberté qui leur correspondent.
La vérité qui vient ensuite est que la perception se réalise parce qu'il y a en chacun de nous un agent appelé le point d'assemblage qui sélectionne les émanations intérieures et extérieures pour l'alignement. L'alignement particulier que nous percevons comme étant le monde résulte de l'endroit spécifique où se situe notre point d'assemblage dans notre cocon.


Carlos Castaneda, Le feu du dedans, 1984, traduction Amal Naccache, Gallimard, 1985. Editions Folio essais, 1998, pp.164-154

Taisha Abelar, Les passes de sorcellerie

"(...) elle porta la paume gauche à son front et le caressa en cercle; Ensuite, elle passa la main sur le sommet de la tête, puis secoua les poignets et les doigts en l'air. Elle répéta plusieurs fois cette suite de massages et de petites secousses. (...)
(...)
"Cette caresse circulaire empêche les rides de se former sur le front, dit-elle. Cela peut te sembler un massage, mais ce n'en est pas un. Ce sont des passes de sorcellerie, des mouvements de la main conçus pour rassembler de l'énergie dans un but spécifique.
(...)
"Le but de ces passes de sorcellerie est de maintenir un air de jeunesse en empêchant les rides de se former, dit-elle. Le but a été décidé auparavant, ni par moi ni par toit, mais par le pouvoir lui-même.
(...) Chaque fois que l'énergie se rassemble, comme c'est le cas dans ces passes de sorcellerie, nous la nommons pouvoir, continua Clara. Rappelle-toi ceci, Taisha, le pouvoir, c'est quand l'énergie se rassemble, soit d'elle-même, soit sur l'ordre de quelqu'un"

Taisha Abelar, Le passage des sorciers. Voyage initiatique d'une femme vers l'autre réalité, 1992. Editions du Seuil, 1998, traduction Sylvie Carteron, extraits p.138-139

Maurice Cocagnac, Rencontre avec Carlos Castaneda

Carlos dit une chose qui me semble tout à fait juste parce que j'ai eu bien des occasions de la vérifier : le pouvoir change certains hommes de manière très dommageable. On en vient alors à regretter le temps où, libres de toute contrainte, ils se montraient généreux, authentiques, habitant leur véritable peau. ON les voit maintenant esclaves de l'opportun, mensongers, enrobés dans la toge de leur puissance, qui est aussi la livrée de leur servitude. Ils parlent la langue de bois, d'un bois qui peut être précieux mais qui demeure rigide. Ces xylophones du  pouvoir sont, en vérité, très fragiles.
Carlos me raconte alors que, se trouvant un jour face à un de ses supérieurs qui lui tenait un discours préfabriqué, il s'est contenté d'user une arme mexicaine. Pendant que l'autre se répandait en paroles, lui s'est concentré pour imaginer en cadavre le partenaire de l'impossible dialogue. Il a pu ainsi constater que le ton du discours faiblissait et que l'impératif devenait dubitatif; "A la faveur de ce fléchissement, me dit Carlos, on peut reprendre ses esprits et manier, s'il l'on se sent dans son droit, l'argument assez puissant pour déstabiliser celui dont la puissance tient à un fauteuil ou à une chaire."
J'ai personnellement essayé : parfois cela marche, cela marche même très bien. Dans ces batailles de pouvoir, celui qui gagne est celui qui a pu se voir lui aussi en cadavre. Pour qui est parvenu à situer sa mort dans la conscience ordinaire de son existence, il est aisé de détecter le mensonge. La mort donne le la qui permet de vérifier le ton d'une affirmation.

Maurice Cocagnac, Rencontres avec Carlos Castaneda et Pachita la Guérisseuses, Albin Michel, 1991, p.82

samedi 9 janvier 2016

"Le monde la vision" Kathy Acker

Chers rêves,
Vous seuls comptez. Vous êtes mon espoir et je vis pour vous et en vous. Vous êtes sauvagerie et folie, les couleurs, les parfums, la passion, les événements qui adviennent. Vous êtes les choses pour lesquelles je vis. s'il vous plaît, faites-moi passer de l'autre côté.
Les rêves aident le monde de la vision à libérer notre conscience.
Les rêves en eux-mêmes ne suffisent pas à détruire la couverture de la morosité.
Les rêves auxquels nous donnons le droit de nous détruire nous aident à devenir des visions/à voir le monde de la vision.

Chaque jour, un outil affûté, un puissant destructeur, est nécessaire pour chasser la morosité, la lobotomie, le bourdonnement, la croyance en l'être humain, la stagnation, les images et l'accumulation. Quand nous  cesserons de croire en l'être humain, quand nous préférerons penser que nous sommes des chiens et des arbres, nous commencerons à être heureux.
Une fois que nous avons entraperçu le monde de la vision (voyez ici à quel point le langage conventionnel obscurcit : NOUS comme si les gens étaient le centre de l'activité VOYONS  ce qui est le centre de l'activité : pure VISION. En fait, NOUS sommes créés par la VISION. Y a-t-il quoi que ce soit de vrai ?) Une fois que nous avons entraperçu le monde de la vision, nous devons veiller à ne pas prendre le monde de la vision pour nous. Nous devons aller plus loin et devenir plus fous.


Kathy Acker, Sang et Sturpe au lycée, 1978, traduction  Claro, 2005, Désordres, Editions du Rocher, p.47.

Réalité et irréalité. Lovecraft

Les vagues accrurent lors leur puissance et cherchèrent à perfectionner son entendement lui découvrant sous un jour raisonnable l'entité multiforme dont son actuel fragment n'était qu'une infime partie. Elles lui apprirent que chaque figure dans l'espace n'est que le résultat de l'intersection, par un plan, de quelque figure correspondante et de plus grande dimension - tout comme un carré est la section d'un cube et un cercle la section d'une sphère. De la même façon le cube et la sphère figures à trois dimensions, sont la section de formes correspondantes à quatre dimensions que les hommes ne connaissent qu'à travers leurs conjectures ou leurs rêves. A leur tour, ces figures à quatre dimensions sont la section de formes à cinq dimensions et ainsi de suite, en remontant jusqu'aux hauteurs inaccessibles et vertigineuses à l'infinité archétypique. le monde des hommes et des dieux des hommes n'est que la phase infinitésimale d'un phénomène infinitésimal - la phase tridimensionnelle de ce minuscule univers clos par la Première Porte où Umr-ay-tawill inspire les rêves des Anciens. Bien que les hommes saluent leur terre du nom de réalité et flétrissent de celui d'irréalité la pensée d'un univers originel aux dimensions multiples, c'est, en vérité, exactement l'inverse. Ce que nous appelons substance et réalité est ombre et illusion et ce que nous appelons réalité est ombre et illusion est substance et réalité.

Le temps, dirent encore les vagues, est immobile et sans commencement ni fin, qu'il ait un mouvement et soit cause cause de changement est une illusion. En fait, cela même est une véritable illusion, car, excepté pour la vue étroite des êtres vivant sur des mondes aux dimensions limitées, il n'existe pas des états tels que le passé, le présent ou le futur. les hommes n'ont l'idée du temps qu'à cause de ce qu'ils appellent le changement, mais cela aussi est une illusion.

Howard Phillips Lovecraft & E. Hoffmann Price, Through the gates of the silver key, 1933, in Démons et merveilles, traduction Bernard Noël, 1955, éditions 10-18, 1994, pp.97-98