lundi 28 avril 2014

L'intentionnalité. La conscience par le mouvement


Husserl a introduit le concept d'intentionnalité dans la philosophie occidentale : "Toute conscience est conscience de quelque chose". Il n'y a pas d'un côté l'objet extérieur, qui s'imprime passivement dans la mémoire de l'individu via les organes des sens, par exemple l'oeil. La conscience est active, elle va vers l'objet avec une intention préalable.
Husserl introduit donc  l'idée que l'homme construit de manière intentionnelle sa réalité. 
Dans l'extrait suivant, l'auteur introduit l'idée que ce qui prime dans la formation de la conscience ne serait pas la perception mais le mouvement et l'action.



"La donation par esquisses (par profils) de l'objet spatial, donation toujours inadéquate, partielle, loin d'être un inconvénient, s'avère au contraire ce qui rend possible que nous puissions accéder à un objet transcendant : cet accès "au-delà" de ce qui est à proprement parler donné (les profils), et par conséquent à l'objet "transcendant" le donné perceptif, est accompli au moyen d'un acte d'anticipation que Husserl qualifie de visée d'un sens dans les Idées I

"Par principe une chose n'est donnée que "sous une face" ce qui signifie non seulement incomplétement, imparfaitement (...) Une chose est nécessairement donnée sous de simple "modes d'apparaître" (...) mais ce qui est "réellement figuré" s'accompagne d'un horizon, d'une zone plus ou moins vague d'indétermination. Par indétermination il faut entendre la possibilité de déterminer un style impérieusement tracé (...) un divers possible de perceptions dont les phases se fondent dans l'unité d'une perception"

Cette indétermination nous contraint donc à anticiper les déterminations non apparentes, mais possibles, compatibles avec ce qui apparaît. Cet horizon de possibilités est donc contraint, prescrit par l'essence du contenu de perception, qui garantit une conscience d'identité face à ses modes d'apparaître possibles (....)

Il y a donc une anticipation continuelle dans la perception, puisque l'identification de l'objet dans sa tridimensionnalité est implicitement anticipation de ses autres profils ; le cours de l'expérience viendra confirmer ou infirmer cette anticipation, et du même coup cette identification tridimensionnelle; (...)
C'est ainsi qu'on peut comprendre que "tout cogito, en tant que conscience, est en un sens très large "signification" de la chose qu'il vise, mais cette signification dépasse à tout instant ce qui, à l'instant même, est donné (...) il le dépasse, c'est-à-dire qu'il est gros "d'un plus"".
(...)
Cet acte perceptif, qui constitue l'objet transcendant comme unité de ses apparences, rend possible que la conscience soit conscience de quelque chose, rend possible l'accès à quelque chose qui excède la conscience, c'est-à-dire l'objet transcendant. Néanmoins cet acte "transcendant" à un prix, qui est celui de cette structure d'anticipation, implicite à l'identification du sens tridimensionnel de l'objet, soumise à la confirmation ou l'infirmaton que le cours de l'expérience apportera. C'est ainsi qu'il faut comprendre cette "visée" intentionnelle, souvent invoquée par Husserl, visée d'un sens, qui sera ou non confirmé par le cours de l'expérience, qui sera ou non l'objet d'un remplissement intuitif.
L'accent se trouve donc mis sur le flux continu des apparences, liées entre elles par des synthèses d'identifications qui font que ces apparences sont rapportées à un objet (un pôle de déterminations invariantes). Dès lors, l'inadéquation de la perception (sa finitude) ne doit pas être comprise comme en déficit par rapport à une perception adéquate, imposible par essence, mais comme le dit R. Bernet "en foncton du caractère illimité de la multitude des apparences qui se rapportent à la même chose (...) L'inadéquation propre à toute connaissance d'un objet transcendantal (...) se manifeste sous la forme de l'impossibilité de clôturer, c'est à-dire de mener jusqu'à son terme définitif le progrès de cette connaissance"
(....)
Husserl insiste d'ailleurs sur ce caractère présomptif de la perception externe : "Je suis pour moi avec une nécessité apodictique tandis que le monde (...) a seulement (...) le sens d'une existence présomptive. Le monde réel existe seulement avec la présomption que ce qui se dessine constamment que l'expérience continuera constamment de se dérouler selon le même style constitutif"
(...)
Il importe de souligner, comme le fait Husserl lui-même, que cette finitude n'est pas celle de nos ressources cognitives, mais est liée à l'essence même de la perception, et à ce titre s'impose à tout être percevant, fût-il un sujet divin. Il s'ensuit que la perception ne peut être qu'un processus dynamique et donc temporalisé.


(....)
C'est précisément ce primat de la perception qui nous paraît pouvoir être remis en question si l'on tire les conséquences de ce qui est établi par Husserl lui-même, à savoir que la perception est inséparable du mouvement, de façon non seulement factuelle mais nécessaire et donc essentielle puisque l'appréhenson de l'objet comme unité suppose la variation de son apparaître et donc le mouvement. Si toute activité perceptive est nécessairement associée à une activité motrice, la question se pose de savoir laquelle de ces deux dimensions, perceptive ou motrice, doit être tenue pour prévalente. Cela revient à se demander s'il est légitime de privilégier la dimension perceptive comme le fait Husserl dans Idées I, et cela au prix d'abstraire la perception de ses conditions d'effectuation, même si ultérieurement sont réintroduites les dimensons initiallement abstraites, notamment la dimension motrice. Ne convient-il pas au contraire de remettre en cause ce primat de la perception, et de privilégier plutôt la dimension du mouvement ?
Un tel choix n'est pas sans conséquences. Il conduit à voir dans le mouvement ou dans l'action, plutôt que dans la perception, le modèle à partir duquel penser l'intentionnalité. Le primat de la perception conduit à tenir pour paradigmique l'expérience perceptive d'un objet immobile, faisant apparaître la perception du mouvement comme un cas particulier (...) Mais si (...) le mouvement est en réalité nécessaire à la perception, ne convient-il pas de considérer au contraire la perception d'un objet immobile comme un cas particulier de la perception du mouvement ou du changement ? Enfin, si toute activité perceptive est indissociable d'une activité motrice, fût-elle réduite à l'exploration visuelle par les mouvements oculaires, tout vécu perceptif est donc en même temps un vécu moteur que l'analyse phénomnologique  ne saurait passer sous silence
(...)
Dès lors pourquoi ne pas considérer que l'activité perceptive est intégrée à l'activité motrice, au sein de laquelle elle intervient nécessairement (...). Cela conduit à renverser l'ordre de priorité entre le mouvement et la perception, et à considérer le mouvement comme vécu paradigmique, à partir duquel dot être compris l'intentionnalité, et au sein duquel est intégrée la perception.

Bernard Pachoud, "La dimension téléologique de l'intentionnalité perceptive et de l'intentionnalité motrice", in Naturaliser la phénoménologie. Essais sur la phénoménologie contemporaine et les sciences cognitives, CNRS Editions, 2002, p.255-282

La religion mexicaine pré-colombienne : une autre perception de la "réalité"



Les Mexicains n'établissaient pas de distinction, en fait de spiritualité, entre les objets animés ou les objets inanimés. La réalité était pour eux étrangement fluide et les choses visibles formaient un grand tout avec les invisibles. Le monde l'au-delà existait comme partie du monde tangible et le surnaturel pour eux ne se distinguait pas nettement de ce qui était naturel. Lorsque survenaient des événements  étranges, les Indiens les regardaient comme étant à la fois naturels et surnaturels et constituant un mélange particulier des différents aspects de la réalité.
Une autre caractéristique de la religion mexicaine était le dualisme. Toutes choses avaient pour base les éléments mâle et femelle qui avaient engendré les dieux, le monde et l'homme. Les phénomènes célestes, pour les Mexicains, étaient dus aux luttes éternelles qui mettent aux prises des divinités hostiles. C'est cela qui expliquaient les alternances du jour et de la nuit, de la lumière et de l'obscurité, de la vie et de la mort, de la croissance et de la dissolution, du bien et du mal, de la maladie et de la bonne santé. Le jeu de balle mexicain qui peut être le symbole de la lutte qui met éternellement aux prises la lumière et l'obscurité représentées par Quetzalcoatl et Tezcatlipoca. (p. 148)
(...)
Pour les Mexicains la mort n'interrompait pas le cycle de la vie, parce que l'immortalité suivait automatiquement la cessation de l'existence terrestre. Ils ne craignaient pas la mort, mais croyaient que les mondes où allaient les âmes étaient différents selon la façon dont l'homme était mort et ne constituait pas une récompense ou une punition s'appliquant à la façon dont l'homme avait vécu.
(p.167)

Frederick A. Peterson, Le Mexique Précolombien, Histoire et Civilisation, 1961, traduction par S. Guillemin, 1976, Petite Bibliothèque Payot.