dimanche 12 octobre 2014

Au-dedans du monde

"Parce que nous, les Runiya, nous sommes vivants en ce monde. Nous sommes dedans. Et les plantes, les animaux, les pierres, le ciel et les étoiles, le soleil et la lune sont nos amis et notre famille ; voilà ce que ça veut dire, être vivant. Un poisson est vivant, un oiseau aussi. Alors que vous, vous êtes hors du monde, à l'observer comme le font les fantômes, et en faisant des bêtises et en le détruisant, comme les fantômes. Alors nous disons que vous êtes morts comme eux. Et puis, quand une personne est vivante, elle a sa mort derrière elle, là, fit l'Indien en désignant un point au-dessus de l'épaule gauche de Cocksey. C'est une façon pour nous de distinguer une personne vivante d'un fantôme. Mais vous, vous portez vos morts en vous, tout le temps, pour avoir le pouvoir de mort sur toutes les choses. Alors nous vous appelons les hommes morts. (...)

Il y avait longtemps, disait le père Tim, les pensées de tout le monde étaient comme de l'eau, reliées à toute chose et faisant partie de toute chose. Il n'y avait pas de différence entre les pensées des gens et le reste du monde, et les pères des wai'ichuranan (les Blancs) vivaient exactement comme les Runiya. Et puis un jour, certains de leurs ancêtres avaient eu des pensées qui n'étaient pas faites d'eau mais de métal, et bientôt de nombreux wai'ichuranan avaient eu ce genre de pensées. Alors ils s'étaient retirés du monde et s'étaient mis à le découper en tout petits morceaux. C'est comme ça qu'ils avaient réussi à acquérir leurs grands pouvoirs sur le monde, et aussi qu'ils avaient commencé à être morts."

Source : http://www.terresacree.org/forevieg.htm


Michael Gruber, La nuit du jaguar, 2006. 
Traduction D. Haas & D. Bouchain, 2009, Presses de la Cité. Editions Pocket, juillet 2011, p.115, 248-249.