vendredi 17 avril 2015

Le Non-Faire (Taisha Abelar)


« Pour être intelligent dans mon monde, tu dois pouvoir te concentrer, fixer ton attention sur n'importe quel objet concret ou sur n'importe quelle manifestation abstraite, expliqua Clara. 
-De quelle sorte de manifestations abstraites parles-tu? 
- Une ouverture dans le champ d'énergie autour de nous est une manifestation abstraite. Mais ne t'attends pas à le sentir ou le voir de la même manière que tu sens et vois le monde concret. Il se passe autre chose.» 
Clara souligna que, pour fixer notre attention sur une manifestation abstraite, nous devons faire fusionner le connu et l'inconnu en un amalgame spontané. Ainsi, nous pouvons engager notre raison et lui être en même temps indifférents. 
Elle me dit de me lever et de marcher. «Maintenant qu'il fait noir, essaie de marcher sans regarder le sol. Pas comme un exercice conscient, mais comme un non-faire sorcier. » 
Je voulus lui demander d'expliquer ce qu'elle entendait par non-faire sorcier, mais savais que, si elle commençait, je serais consciemment en train de penser à son explication et de jauger mon comportement face à ce nouveau concept, même sans être sûre de son sens. Je me souvins, cependant, qu'elle avait déjà employé le terme «non-faire» auparavant. Réticente à poser des questions, je tentai encore de me rappeler ce qu'elle m'en avait dit. Pour moi, la connaissance, même minimale et défectueuse, valait mieux que rien car elle me donnait un sentiment de maîtrise, tandis que l'absence de connaissance me faisait sentir totalement vulnérable. 
« Non-faire est un terme qui nous vient de notre propre tradition de sorcellerie, continua Clara, manifestement consciente de mon besoin d’explications. Cela se réfère à tout ce qui n'est pas inclus dans le stock qui nous a été imposé. Quand nous engageons n'importe quel objet de notre stock imposé, nous faisons ; tout ce qui ne fait pas partie de ce stock est non-faire. » 
Toute sensation de détente à laquelle j'avais pu parvenir fut brusquement coupée par cette déclaration de Clara. Je demandai: .
« Que voulais-tu dire, en nommant ta tradition sorcellerie »
-Tu saisis le moindre détail, quand tu veux, Taisha. Pas étonnant que tes oreilles soient si grandes », fit-elle en riant, mais sans répondre tout de suite à ma question. 
Je la regardai fixement, attendant sa réponse. Finalement, elle lâcha :
-« Je ne voulais pas encore t'en parler, mais, puisque cela m'a échappé, laisse-moi juste te dire que l'art de la liberté est un produit de l'intention des sorciers. 
- De quels sorciers parles-tu ? 
- Il y a eu des gens ici au Mexique, et il y en a encore, qui s'intéressent aux questions essentielles. Ma famille magique et moi les appelons sorciers. D'eux, nous avons hérité toutes les idées que je te fais connaître. Tu connais déjà la récapitulation. Non-faire est une autre de ces idées. - Mais qui sont ces gens, Clara ? - Tu sauras bientôt tout ce qu'il y a à savoir sur eux, assura-t-elle. Pour le moment, contentons-nous de pratiquer un de leurs non-faire. »
Elle expliqua qu'en ce moment précis le non-faire serait, par exemple, de me forcer à faire implicitement confiance à l'esprit en abandonnant mon mental calculateur, et m'avertit : 
« Ne te contente pas de prétendre faire confiance tout en nourrissant secrètement des doutes. C'est seulement quand ta force positive et ta force négative seront en parfait accord que tu seras capable de sentir ou de voir l'ouverture dans l'énergie autour de toi, ou de marcher les yeux fermés et d'être sûre de réussir. » 


Taisha Abelar, Le passage des sorciers. Voyage initiatique d'une femme vers l'autre réalité, 1992. Editions du Seuil, 1998, traduction Sylvie Carteron, extraits p.109-110