dimanche 9 mars 2014

Maurice Cocagnac. Le moi et son double


Quand l'homme constate qu'il est double, il peut avoir des réaction très diverses. S'il le refuse, il devient schizophrénique, s'il en joue, il se laisse prendre par la duplicité. Il peut aussi le constater et, dépassant l'altérité des deux pôles qui le constituent, tourner son regard, sa volonté, sa puissance de concentration vers l'énergie qui, jaillie de ces deux centres opposés, les maintient dans une unité dynamique. Ainsi se développe la face, en unissant deux profils qui ne sont pas nécessairement harmonisés dès la naissance.
La force spirituelle d'un être et peut-être aussi un certain pouvoir physique apparaissent en même temps que la maîtrise de l'énergie qui unit le moi et son double. Le Mexique possédait jadis des dieux doubles. Les sorciers se voient encore aujourd'hui dotés d'un double animal (...)
Tout commence vraisemblablement lorsqu'un homme réalise sa dualité psychique. Il peut la nommer contradiction et vivra alors un perpétuel dilemne. Si elle lui apparaît comme un opposition dynamique, il concentrera son intérêt sur l'énergie qui jaillit de cette bipolarité, comme l'étincelle d'un arc électrique.
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Source : http://phine.chez.com/mythologie/abecedaire_mesoamerique.htm
J'en viens à penser que la maîtrise de cette énergie peut doter l'homme de pouvoirs exceptionnels : les dons dits "parapsychologiques" peuvent être aussi des acquisitions. L'erreur est de croire que l'on puisse acquérir ces pouvoirs sans passer par un dur et long travail sur sa propre psyché. Transformer ses contradictions éprouvées dans l'angoisse en oppositions vécues dans la sérénité n'est pas une mince affaire ; c'est pourtant le travail primordial qui aboutit à cette grande expérience : la saisie directe, lumineuse de l'énergie qui rassemble les parties de soi-même. Cette force est d'un autre ordre et peut être nommée de bien des façons. Certains Mexicains la nommeraient volontiers la puissance du Nagual et l'on dira des maîtres qui ont accompli le voyage intérieur de cette perception transcendante qu'ils sont devenus eux-mêmes des Naguals. Ce sont des êtres qui ont acquis le pouvoir de vivre en même temps dans notre espace-temps et hors de ces coordonnées. Leurs pouvoirs magiques viennent d'une fonction hypnotique qui leur permet d'induire chez d'autres humains ce genre d'expériences. (...)
Cette indépendance de la perception par rapport au système sensoriel, habituellement développé dans le cadre d'une culture, pourrait peut-être se nommer faculté d'extraperception. Ainsi, la division interne de la conscience, loin de se résoudre en destruction, conduit à un état occasionnel ou permanent d'effraction. Ce qui est ici fracturé n'est nullement l'harmonie de l'esprit mais la clôture artificielle créée par une culture, un savoir. (...)
Le pouvoir inclus dans le cerveau humain, en tant qu'ordinateur de toutes les puissances d'un individu, sent profondément qu'il dépasse le domaine d'une culture. Il est tenté de faire des "sorties" qui ne sont pas sans danger tant qu'il ignore les précautions nécessaires pour ne pas tomber psychiquement en morceaux.
Mais il est des cultures qui ont toujours admis la légitimité de ces "sorties" et vénéré les maîtres capables de les susciter et de les guider. Je sens ici à Ixtlan la frontière entre le monde d'une culture moderne, enfermée dans ses concepts, et le domaine indigène de l'ancienne culture zapothèque et aztèque. Ce domaine fut jadis et demeure encore, dans quelques coins (rincones, disent les gens d'Ixtlan), le champ libre d'une vie spirituelle en prise directe avec l'Au-delà.

Maurice Cocagnac, Rencontres avec Carlos Castaneda et Pachita la Guérisseuses, Albin Michel, 1991, p.116-118