Il me faut signaler ici un retour à l’empirisme qui, sous sa forme primaire, donne les guérisseurs et les rebouteux, et, sous sa forme transcendante, est à la base d’une formule aussi grandiose que l’homéopathie.
L’homéopathie, avec son principe de similitude, est intimement liée à la médecine des plantes. Je chercherai donc au Mexique la survivance d’une ancienne médecine des plantes comparable à ce qu’on appelle en Europe la médecine spagirique dont le théoricien le plus remarquable fut Paracelse, à la fin du Moyen Age.
Je n’ai pas de conclusion à en tirer pour l’instant, mais il me semble discerner au Mexique deux courants : l’un qui aspire à assimiler la culture et la civilisation européenne, en leur donnant une forme mexicaine, et l’autre qui, prolongeant la tradition séculaire, demeure obstinément rebelle à tout progrès. Pour mince que soit ce dernier courant, c’est en lui que se trouve toute la force du Mexique, c’est là que je rencontrerai les survivances de la médecine empirique des Mayas et des Toltèques, la véritable poétique mexicaine qui ne se réduit pas uniquement à écrire des poèmes, mais affirme les relations du rythme poétique avec le souffle, avec les purs mouvements de l’espace, de l’eau, de l’air, de la lumière, du vent.
La culture profonde du Mexique vient de très loin. Elle porte en elle la tradition des races qui un jour dominèrent la civilisation.
Devant l’écroulement évident de la civilisation de l’Europe, je suis venu me rendre compte de quelle manière le Mexique se propose d’affermir sa culture traditionnelle et si, sans essayer de ressusciter des formes gaspillées de sa vie, il aspire à prouver la permanence en lui d’un esprit que, de mon point de vue de poète, j’appellerai magique ; esprit qui, considéré d’un point de vue strictement scientifique, peut devenir la manifestation d’une véritable énergie psychologique.
Grâce à cette énergie répandue à l’infini dans la Nature, l’homme de l’antiquité entrait, si l’on peut dire, en possession des événements. On sait que pour les Mayas, par exemple, le destin n’existait pas. La Nature n’a de pouvoir sur nous qu’en raison de notre ignorance et de notre cécité séculaire.
Mais au moment où l’on parle de nouveau et presque partout d’humanisme, l’occasion se présente d’affirmer les véritables pouvoirs, la haute puissance dominatrice de l’homme qui le rend maître des événements.
Une culture pour laquelle l’Univers est un tout sait que chaque partie agit automatiquement sur l’ensemble. Il ne manque que d’en connaître les lois. (…)
Le soleil, pour employer l’antique langage des symboles, apparaît comme le mainteneur de la vie. Il n’est pas seulement l’élément fécondant, le provocateur souverain de la germination ; il est tout cela, il fait mûrir tout ce qui existe, mais c’est, si l’on peut dire, la moindre de ses facultés. Il brûle, il calcine, il élimine, mais il ne détruit pas tout ce qu’il supprime. Sous l’amoncellement des choses détruites et grâce à cette destruction elle-même, il maintient l’éternité des forces par lesquelles se conserve la vie.
En un mot – et en cela consiste le véritable secret – le soleil est un principe de mort et non un principe de vie. Le fond même de l’antique culture solaire est d’avoir montré la suprématie de la mort.
Il y a en Inde des adorateurs de Shiva le Destructeur, et des adorateurs de Vishnou le Conservateur. Mais la destruction est transformatrice. La vie maintient sa continuité par la transformation des apparences.
Or, les adorateurs de Shiva ont pour emblème l’esprit du feu, le grand courant dévorateur de formes, cette espèce de force impulsive qui changeait les hommes cuivrés de l’ancien Mexique en mainteneurs déterminés de la mort. Et ce n’est pas un paradoxe verbal.
Réaliser la suprématie de la mort n’équivaut pas à ne pas exercer la vie présente. C’est mettre la vie présente à sa place ; la faire chevaucher divers plans à la fois ; éprouver la stabilité des plans qui font du monde vivant une grande force en équilibre ; c’est, enfin, rétablir une grande harmonie.
Antonin Artaud. La culture éternelle du Mexique, 1936. In Messages révolutionnaires. Gallimard, 1971, pp. 107-110. Traduit de l’espagnol par Marie Dézon et Philippe Sollers.
Je n’ai pas de conclusion à en tirer pour l’instant, mais il me semble discerner au Mexique deux courants : l’un qui aspire à assimiler la culture et la civilisation européenne, en leur donnant une forme mexicaine, et l’autre qui, prolongeant la tradition séculaire, demeure obstinément rebelle à tout progrès. Pour mince que soit ce dernier courant, c’est en lui que se trouve toute la force du Mexique, c’est là que je rencontrerai les survivances de la médecine empirique des Mayas et des Toltèques, la véritable poétique mexicaine qui ne se réduit pas uniquement à écrire des poèmes, mais affirme les relations du rythme poétique avec le souffle, avec les purs mouvements de l’espace, de l’eau, de l’air, de la lumière, du vent.
La culture profonde du Mexique vient de très loin. Elle porte en elle la tradition des races qui un jour dominèrent la civilisation.
Devant l’écroulement évident de la civilisation de l’Europe, je suis venu me rendre compte de quelle manière le Mexique se propose d’affermir sa culture traditionnelle et si, sans essayer de ressusciter des formes gaspillées de sa vie, il aspire à prouver la permanence en lui d’un esprit que, de mon point de vue de poète, j’appellerai magique ; esprit qui, considéré d’un point de vue strictement scientifique, peut devenir la manifestation d’une véritable énergie psychologique.
Grâce à cette énergie répandue à l’infini dans la Nature, l’homme de l’antiquité entrait, si l’on peut dire, en possession des événements. On sait que pour les Mayas, par exemple, le destin n’existait pas. La Nature n’a de pouvoir sur nous qu’en raison de notre ignorance et de notre cécité séculaire.
Mais au moment où l’on parle de nouveau et presque partout d’humanisme, l’occasion se présente d’affirmer les véritables pouvoirs, la haute puissance dominatrice de l’homme qui le rend maître des événements.
Une culture pour laquelle l’Univers est un tout sait que chaque partie agit automatiquement sur l’ensemble. Il ne manque que d’en connaître les lois. (…)
Le soleil, pour employer l’antique langage des symboles, apparaît comme le mainteneur de la vie. Il n’est pas seulement l’élément fécondant, le provocateur souverain de la germination ; il est tout cela, il fait mûrir tout ce qui existe, mais c’est, si l’on peut dire, la moindre de ses facultés. Il brûle, il calcine, il élimine, mais il ne détruit pas tout ce qu’il supprime. Sous l’amoncellement des choses détruites et grâce à cette destruction elle-même, il maintient l’éternité des forces par lesquelles se conserve la vie.
En un mot – et en cela consiste le véritable secret – le soleil est un principe de mort et non un principe de vie. Le fond même de l’antique culture solaire est d’avoir montré la suprématie de la mort.
Il y a en Inde des adorateurs de Shiva le Destructeur, et des adorateurs de Vishnou le Conservateur. Mais la destruction est transformatrice. La vie maintient sa continuité par la transformation des apparences.
Or, les adorateurs de Shiva ont pour emblème l’esprit du feu, le grand courant dévorateur de formes, cette espèce de force impulsive qui changeait les hommes cuivrés de l’ancien Mexique en mainteneurs déterminés de la mort. Et ce n’est pas un paradoxe verbal.
Réaliser la suprématie de la mort n’équivaut pas à ne pas exercer la vie présente. C’est mettre la vie présente à sa place ; la faire chevaucher divers plans à la fois ; éprouver la stabilité des plans qui font du monde vivant une grande force en équilibre ; c’est, enfin, rétablir une grande harmonie.
Antonin Artaud. La culture éternelle du Mexique, 1936. In Messages révolutionnaires. Gallimard, 1971, pp. 107-110. Traduit de l’espagnol par Marie Dézon et Philippe Sollers.
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