Don Juan Matus assurait que les êtres humains, en tant qu’organismes vivants, possédaient un mode de perception prodigieux qui, malheureusement, engendrait une fausse conception des choses, une apparence trompeuse : le flux d’énergie pure qui leur parvient de l’univers en général est transformé en données sensorielles, interprétées ensuite en fonction d’un système de référence strict que les sorciers appellent la forme humaine. C’est cet acte magique d’interprétation de l’énergie pure qui suscite l’impression fausse, la conviction nourrie par les humains que leur système d’interprétation est tout ce qui existe.
Don Juan illustrait ce phénomène en prenant un exemple. Il disait que l’arbre, tel que les humains le connaissent, relève davantage de l’interprétation que de la perception. Il observait que pour établir la présence d’un arbre, tout ce dont les êtres humains ont besoin est un rapide coup d’œil qui ne leur apprend pas grand chose. Le reste est un phénomène qu’il décrivait comme l’appel de l’intention, l’intention de l’arbre ; c’est-à-dire l’interprétation de données sensorielles relatives à ce phénomène spécifique que les humains appellent arbre. Tout l’univers des hommes est, comme dans cet exemple, composé d’un répertoire sans fin d’interprétation où les sens humains jouent un rôle minimal, assurait-il. En d’autres termes, seul le sens de la vision touche l’influx énergétique qui provient de l’univers ; encore n’est-ce que de manière très sommaire. (…)
A en croire Don Juan, les shamans de l’ancien Mexique décrivaient l’intention comme une force éternelle qui imprègne tout l’univers, une force qui a conscience d’elle-même au point de répondre aux appels et aux commandements des shamans. Grâce à l’intention, ces shamans étaient capables de libérer non seulement toutes les facultés de perception, mais aussi toutes les possibilités d’action humaine. Par l’intention, ils accédaient aux modes d’expression les plus inconcevables.
Don Juan m’a enseigné que la limite des facultés de perception humaines est appelée la bande de l’homme, ce qui signifie que les possibilités humaines s’inscrivent dans une certaine étendue déterminée par l’organisme. Les frontières qui la circonscrivent ne sont pas les traditionnelles limites de la pensée organisée : elles englobent la totalité des ressources que renferme l’organisme humain. Don Juan pensait que ces ressources n’étaient jamais exploitées et qu’elles ne trouvaient pas à s’exprimer, confinées qu’elles étaient par des idées préconçues sur les limitations de l’homme, sans rapport avec son potentiel réel.
Il affirmait, de la manière la plus catégorique, que puisque l’énergie telle qu’elle est perçue lorsqu’elle circule dans l’univers se présente sous une forme qui n’a rien d’arbitraire ni d’idiosyncrasique ceux qui voient sont en présence d’expressions spontanées de l’énergie, sans interférences ni déformations imputables à l’homme. Il s’ensuit que leur perception est, en elle-même et par elle-même, la clé qui libère le potentiel humain si bien cadenassé qu’il n’entre jamais en ligne de compte. Pour y parvenir, il est indispensable de mobiliser la totalité des facultés de perception humaines.
Carlos Castaneda, Passes magiques, 1998. Editions du Rocher, 1998, traduction Emmanuel Scavée, pages 47, 49-50
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