dimanche 11 décembre 2011

Carlos Castaneda. Ne pas faire (2)


Don Juan à Carlos Castaneda :
"Je n'ignore pas que tu penses que tu es pourri, dit-il, et ça c'est ton faire. Maintenant pour modifier ce faire, je te recommande d'apprendre un autre faire. A partir de maintenant et pour huit jours, je veux que tu te mentes à toi-même. Au lieu de raconter la vérité, que tu es laid, pourri jusqu'à la moelle, inadapté, tu te racontes exactement le contraire (...) Cela pourrait te fixer sur un autre faire et alors tu pourras te rendre compte que les deux faire sont des mensonges, qu'ils sont irréels, et que prendre l'un d'eux comme point d'articulation de la vie n'est qu'un gaspillage de temps, parce que la chose réelle est l'être qui en toi devra mourir. Parvenir à cet être est le ne-pas-faire du soi."

Le voyage à Ixtlan. Les leçons de Don Juan. Carlos Castaneda, 1972. traduction Marcel Kahn, 1974, Gallimard. Edition Folio Essai, 1996, page 259.


"Il définissait le "non faire " comme un acte non familier qui engage notre être total, en le forçant à devenir conscient de son segment lumineux" (Le Don de l'Aigle")




Bernard Dubant, Michel Marguerie, Castaneda. Le saut dans l'inconnu, 1982, Guy Trédaniel, 2e édition, 1990, pp. 19-24 :
L'essentiel du comportement du guerrier consiste à "ne pas faire". Le "faire" est le comportement de l'homme ordinaire. Ce comportement l'amène à toujours considérer de la même façon, c'est-à-dire à fabriquer sans cesse son monde d'après les critères qu'on lui a enseignés dès qu'il s'est solidifié.
C'est pour cela que la vie "ordinaire" (...) est composée d'une infinité d'habitudes, lesquelles entraînent immanquablement l'homme qui les suscite à l'ignorance de lui-même, à la conformité à l'opinion des autres (...)
"Tout faire est un laisser-aller". Cela signifie que l'homme qui "fait" sans cesse se bâtit un monde d'après l'entraînement de ses désirs et de ses passions, qui ne sont pas, malgré qu'on en ait, des choses "naturelles", mais seulement un manque catastrophique d'empire sur soi-même.

Le "ne pas faire" est un acte, ou plutôt un "non acte", désintéressé, c'est-à-dire "sans désir". (...)
Le "ne pas faire" est la pure inutilité, et c'est cette inutilité, c'est à dire cette "non ordonnance à", qui nous force à nous ressouvenir : c'est elle qui est notre décision.

Contempler les ombres des choses, c'est "ne pas faire". Mais, ajoute Don Juan, considérer que les ombres ne sont que des ombres, c'est "faire" (...). Ainsi le "ne pas faire" qui fait sortir l'attention de son sillon habituel, est la façon de considérer qu'il "y a beaucoup plus pour nous".

Don Juan enseigne que les hommes sont des êtres lumineux, c'est-à-dire qu'ils ont des corps lumineux, parallèlement à leur corps physique. Le "faire" est l'attention exclusive au corps physique, et c'est le "faire "qui bâtit le corps physique.

C'est pourquoi la rupture de cette "attention" nécessite une rupture des routines qui en sont la substance.
(...)
Il s'agit dans tous les cas de briser le flux continu de notre perception commune" (...) Ce qu'il faut observer, cependant, c'est que le "ne pas faire" ne doit pas devenir une routine : et le seul moyen qu'il ne soit pas une routine, c'est qu'il engage toute l'attention, et ainsi rompe d'une certaine façon, faible au début, totale à la fin, le flux perpétuel de la première attention.
(...)
Ainsi tout "ne pas faire" tend à ceci : à ce que cesse le "dialogue intérieur", qui fait et qui en définitive est le monde, c'est-à-dire notre représentation du monde (le monde n'étant qu'une représentation).
(...) tout acte à son "ne pas faire" comme tout corps à son ombre. Et le "ne pas faire" de tout acte est son correspondant dans l'autre monde de l'attention : "rêver" est le ne pas faire du sommeil. Traquer est le ne pas faire de l'état de veille. Marcher en arrière est un "ne pas faire" de la marche, car cela force l'attention à se fixer.



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