dimanche 14 mars 2010

Passivité et attention. Colin Wilson




La passivité est profondément enracinée, en particulier chez l’homme civilisé. Bébés, nous restons passifs dans les bras de notre mère. Enfants, nous allons à l’école où nous écoutons, passivement, les professeurs. Et, dans le système d’éducation moderne, tout individu d’intelligence moyenne peut aller au lycée puis à l’université, après quoi il trouve toujours un emploi dans quelque vaste corporation. Le monde moderne dans son ensemble crée l’habitude de la conformité, de l’obéissance aux contraintes, et nous fait perdre l’habitude d’exercer notre liberté.
Toutes les formes d’attente engendrent aussi la passivité. Si j’attends un bus, quelque chose s’ « éteint » dans mon cerveau ; j’entre dans un état d’animation suspendue jusqu’à ce que le bus arrive. Assis dans le bus, en attendant d’arriver au bureau ou à la maison, ma conscience « s’éteint » de nouveau et je fixe, l’esprit vide, le paysage qui défile. Si le bus a du retard, l’attente se colore d’impatience et d’anxiété, toute possibilité d’utilisation créatrice de la conscience s’évanouit. Je suis comme un homme en équilibre précaire : la plus légère poussée peut me renvoyer à un état d’esprit irrité et négatif. (…) les conditions de l’existence humaine font que nous passons 90 pour 100 de notre temps dans un état passif, nous demandant que faire ensuite.

Notre attention est le gouvernail du planeur. Quand on a les pieds sur terre – comme c’est le cas la plupart du temps – elle apparaît comme un simple instrument nous permettant de nous diriger dans le journée ; notre attention passe d’un objet à un autre. Certains événements stimulent, d’autres découragent ; mais on est sur la terre ferme et on ne va pas loin dans l’une ou l’autre direction. (…) Le planeur invétéré connaît du moins une vérité fondamentale au sujet de l’univers : c’est sa volonté, ses dispositions et son attention personnelles qui provoquent l’extase ou la souffrance. Les autres restent prisonniers de l’illusion que la joie et la peine sont une réponse logique aux événements extérieurs, aussi perdent-ils leur vie à se battre avec les événements et à se sentir trompés lorsqu’ils s’aperçoivent qu’une amélioration ne peut les combler.

Colin Wilson, Mystères, 1978. Albin Michel, 1981, traduction Robert Genin et Sylvie Bérigaud, extraits page 332 et pp. 197-198

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