D’un air rêveur, Isidorio Baltazar poursuivit en m’expliquant que, dans la vie de tous les jours, nous partageons notre état subjectif avec les autres humains. C’est pourquoi nous savons à tout instant ce qu’ils vont faire dans des situations données.
- C’est faux, complètement faux ! Ne pas savoir comment vont réagir les autres, c’est justement l’une des choses les plus passionnantes dans la vie. L’une des rares qui nous restent, ne me dis pas que tu veux la supprimer !
- Nous ne savons, bien sûr, pas exactement ce qu’ils vont faire, continua-t-il patiemment, mais nous pouvons énumérer les possibilités. La liste serait longue, certes, mais pas infinie. Et pour établir cette liste, inutile de demander leur avis aux autres : il nous suffit de nous mettre à leur place et d’écrire. Les diverses options sont valables pour tout le monde car elles sont communes à nous tous. L’état subjectif est le même pour tous. Nous appelons « bon sens » notre connaissance subjective du monde. Il peut varier d’un groupe à l’autre, d’une culture à l’autre, mais il est suffisamment homogène pour justifier l’idée que le monde de tous les jours est un monde intersubjectif. En revanche, avec les sorciers, le sens commun auquel nous sommes habitués ne fonctionne pas du tout. Ils possèdent un autre genre de bon sens car leur état subjectif est différent.
(...)
Les sorciers, poursuivit-il, nous font voir que la nature de la réalité est différente de ce que nous croyons. C’est-à-dire différente de ce que l’on nous a enseigné sur elle. Sur le plan intellectuel, nous ne rejetons pas l’idée que la culture prédétermine notre personnalité, notre comportement, nos connaissances et nos sentiments. Mais nous ne sommes pas prêts à concrétiser cette idée, à l’accepter comme une proposition concrète et pratique. Tout simplement parce que nous ne voulons pas admettre que la culture prédétermine également l’étendue de notre perception (…) Un sorcier est conscient des diverses réalités mais il utilise ses connaissances dans le domaine du pratique. Il sait, intellectuellement et pratiquement, que la réalité – ou le monde tel que nous le connaissons – n’est constituée que d’un accord extirpé à chacun d’entre nous. Et que cet accord pourrait être détruit puisqu’il ne s’agit que d’un phénomène social. Or, s’il est détruit, le monde s’écroule avec lui.
Florinda Donner-Grau. Les portes du rêve, 1991. Traduction Laurence Minard, Editions du Rocher, 1995. Extraits pages 174-175 et p. 178
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