Depuis Husserl, il est admis que la conscience est « intentionnelle » : il faut qu’elle se fixe sur quelque chose, sinon elle ne voit rien. Tout le monde a pu constater qu’en certaines occasions, on peut jeter un coup d’œil à sa montre et ne pas voir l’heure qu’il est ; pour lire l’heure il faut se concentrer, faire une mise au point. Regardez ce qui se passe quand on veut lire en étant ivre ou très fatigué. On peut se fixer sur des phrases isolées, mais on ne comprend pas le sens du texte, bien que l’on comprenne parfaitement chaque phrase isolément. L’esprit est semblable à une lampe qui balaierait la page ; à mesure qu’une nouvelle phrase est éclairée, le reste retombe dans l’obscurité.
Par contre, lorsqu’on comprend ce qu’on lit, l’esprit continue à retenir le sens des phrases antérieures. C’est comme s’il avait deux mains, l’une qui saisit le sens des mots nouveaux les uns après les autres, l’autre qui conserve tout ce qui a été lu précédemment et peut relier les phrases entre elles, pour tirer la signification de l’ensemble. On peut exprimer cela d’une manière simple en disant que la conscience travaille en maniant des relations. Quand elle fonctionne normalement, elle fait la relation entre les nouveaux mots et leur signification, et tout ce qui précède.
Une conscience normale ressemble à une toile d’araignée, et nous sommes l’araignée au centre. Ce centre représente l’instant présent. Mais le sens de notre vie dépend de ces fils ténus qui s’étendent dans toutes les directions de l’espace et du temps et des vibrations qu’ils transmettent à la toile.
En temps normal, la conscience peut être représentée par une toile très petite ; notre vie est mouvementée comme si la toile était en butte à un vent violent. Mais, parfois, le vent retombe et nous réussissons à fabriquer une toile bien plus grande. (…) Cette structure en « toile d’araignée » est propre à chaque conscience ; seule varie la taille de la toile.
Les conséquences de ce qui précède sont immenses. Les « visions » et les extases des mystiques sont parfaitement normales et réelles ; ce ne sont pas des illusions. (…) Les philosophes pessimistes qui trouvent que la vie n’a aucun sens vivent simplement dans une toile trop restreinte. Ce que Sartre appelle « la nausée » (...)
L'homme est en train de se fabriquer naturellement une toile plus vaste qu'auparavant. Tel est le sens de son évolution (...)
Colin Wilson, La pierre philosophale, pp. 82-83, Nouvelles éditions Oswald, 1982. Traduction Gérard Blanc
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