« Je tenais les calumets. Leurs fourneaux étaient ma chair. Le tuyau représentait chaque génération. Je sentais mon sang pénétrer dans le calumet, je le sentais refluer vers moi, tourner dans ma tête à la façon d’un esprit. Je sentais les calumets naître à la vie entre mes mains, et remuer. Je sentais leur pouvoir surgir d’eux et pénétrer mon corps, l’emplir tout entier. Des pleurs inondaient mon visage. Et il me vint en pensée un aperçu de la signification du calumet : grâce à celui du Bison Enfant, je me connaissais moi-même, je découvrais la terre autour de moi. La cécité de mon cœur disparaissait et me faisait voir un autre monde au-delà du quotidien de la peau de grenouille verte. Je compris que le calumet était mon église. Ce petit objet de bois et de pierre, aussi longtemps qu’il serait à moi, je n’aurais besoin de rien d’autre. Je sus que le calumet renferme en lui les pouvoirs de la nature, et que j’étais moi-même à l’intérieur du calumet. Je sus qu’en fumant le calumet, je me tenais au centre du monde, m’abandonnant moi-même au Grand Esprit, et que tout autre Indien priant avec le calumet devait avoir, à un moment ou l’autre, la même sensation. Je sus qu’en libérant la fumée vers le ciel, je libérais aussi en moi ce qui devait être libre, et qu’ainsi je faisais la joie de toutes les plantes et de tous les animaux de la terre. Tout cela, j’avais le pouvoir de le comprendre avec le cœur et le sang, de la même façon, j’imagine, qu’un animal comprend le monde – pas avec le cerveau. J’ai repensé à ces révélations des années durant. Même aujourd’hui, après tant de temps, leur souvenir me tient en éveil, la nuit.
Je fus soudain convaincu que si je mêlais mon haleine à la fumée sacrée, je l’urinais à l’haleine de toute créature vivante sur cette terre, et que la lueur de la braise était le feu sacré du Grand Esprit. Ce même feu qui est dans le soleil. Je sus que dans le calumet toutes les parcelles de la nature se fondaient en une, devenaient une. La pensée me vint que si un jour je parvenais à comprendre la signification du calumet, avec les symboles qui s’y cachent, alors seulement je saurais ce que signifie : être un Indien, ce que signifie être soi-même. »
Tahca Ushte – Richard Erdoes. De mémoire indienne. La vie d’un Sioux, voyant et guérisseur, 1972.
Traduction Jean Queval, 1977. Collection Terre humaine/Poche, mars 1993, pp. 338-339
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